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Ada Charlie

"Les villes de Papier. Une vie d'Emily Dickinson" Dominique Fortier chez Bernard Grasset.



"L'Eden est d'abord un jardin"


J'ai toujours pensé qu'Emily Dickinson avait, comme Proust, une vie d'oisif : sans obligation, sans contrainte, sans rien. L'écriture devait les occuper et lorsqu'on a vraiment le temps (de s'emmerder), que l'on écrit pendant que les autres travaillent, élèvent, construisent, triment, vivent (?) alors tu deviens vraiment doué en écriture. Lorsque les autres s'endorment après une journée bien remplie, d'autres ne trouvent pas le sommeil et couvrent des pages de mots.


Voilà pour le coté obscur de la poétesse : Emily Dickinson




Sa vie est un jardin. Et de sa vie, nous n'avons rien, ne savons rien : pas de journal intime, pas d'écrit, pas de témoignage. Pourtant de nombreux chercheurs, passionnés, curieux cherchent à lui inventer une vie, des amants, des rêves. On trouve même une pitoyable série télévisée sur l'extrapolation de sa vie. A sa mort, il ne restait que des feuilles cousues de ses poèmes, des brouillons de lettres. C'est tout.


"Pourquoi s'obstiner à compter la poésie"


La poésie n'a pas de règles, pas de strophes et de rimes. C'est cela que nous a appris Emily Dickinson : écrivez comme vous vivez. J'aime énormément sa façon d'écrire, les majuscules qu'elle pose et qui impose un rythme au texte, une lecture différente.


J'habite le Possible

Maison plus belle que la Prose

Aux croisées plus nombreuses

Mieux dotée en Portes


Et toujours cette question : pourquoi écrivait-elle, elle ne voulait pas être publiée. Alors que voulait-elle ? Il Me semble qu'elle voulait que ses mots traversent le temps, loin dans les temps, comme les flocons de neige qu'elle évoque souvent.

Elle voulait que ses textes traversent les temps pour trouver leurs destinataires, pour trouver à qui ils étaient destinés.





Dominique Fortier, l'auteur, ayant senti, elle-aussi l'enracinement de ces poèmes sur sa peau, l'acheminement des racines à son être, préfère entre les chapitres, nous parler de sa vie, des ses déménagements pour s'arracher à l'emprise poétique. J'avoue : lorsque l'on tombe dans un des recueils de poésie : on tombe.


Il faut savoir naviguer sur les mots, les entendre murmurer, cascader pour écrire un essai sur une vie imaginée à partir du souffle des mots. Savoir nager aussi pour remonter à la surface et si Dominique Fortier nous entraine loin sous ses mots, elle sait nous remonter à la réalité à coup de chapitre nouveau. Elle avoue, elle aussi, ne rien savoir mais elle sait ce qu'elle ressent. Elle sent et elle sait comme chacun d'entre nous à la lecture d'Emily DIckinson (en anglais si possible).


La poésie, la sensibilité à la poésie :

"D'abord on ne sait rien. Ensuite on sait qu'on ne sait pas. La moitié du chemin".

Ce livre, je ne voulais pas le rendre à la médiathèque où je l'avais emprunté, il était blindé de post-it, eux-mêmes recouverts de notes.


Mes notes comme un découpage pour une dissertation scolaire, je n'ai pas envie de les perdre et je ne peux pas rendre un livre avec des post-it en forme de coeur.


L'herbarium :


"Tandis que les autres marmonnent des chiffres entre leurs lèvres, elle prononce comme une formule magique un mot, un seul : Jasmin, et le jasmin apparaît.

Emily a illustré les entrées du dictionnaire"


"En lisant les fleurs comme une histoire, de gauche à droite et de haut en bas, on commence avec le Jasmin..."


" A la première page de son herbier, Emily rassemble ainsi ce qui est nécessaire à l'écrivain qu'elle est déjà sans le savoir, ou le sachant peut-être : la couleur pour faire l'encre qui lui servira à écrire et à dessiner, de quoi s'éclairer, un moyen d'attirer les papillons, un baume pour soigner le froid - et des fleurs pour le thé.


Comme ses plantes, elle aussi a passé l'hiver entre les pages d'un livre."


Les livres


"...Dans les livres il y a d'autres livres, ...Chaque livre en contient cent. Ce sont des portes qui s'ouvrent et ne se referment jamais. Emily vit au milieu de cent mille courants d'air."


Dieu


" Qu'est ce que ce Dieu qui se scinde en trois, le père terrible, le Fils sacrifié, l'Esprit insaisissable ? ...Quand elle lève les yeux au ciel, Emily ne voit rien que les nuages. Si le ciel est le repos des justes, cela veut-il dire qu'ils se sont changés en oiseaux ?"


Lavinia


"Lavinia, mesure, pèse, verse, râpe, épluche, épépine, équeute, effeuille, pèle, mélange, infuse, tranche, saupoudre, touille, sale, poivre, sucre, emmielle, épice, cannelle, coriandre et muscade, débite, trempe, tempère, tamise, arrose, fouette, bat, concase, broie, huile, étuve, écosse, égrappe, décortique, macère, marine, pétrit...."


Emily


"Elle a besoin de si peu de choses qu'elle pourrait aussi bien être morte - ou n'avoir jamais été"


Pour conclure, cette phrase de l'auteur qui finalement ne fait que traduire ce lien qu'Emily Dickinson a construit de sa vie et à travers sa mort pour nous. Et qui peut nous faire comprendre aussi pourquoi ses poèmes font sans cesse référence à la mort :


"...quitte à carrément l'inventer"



L'herbier d'Emily Dickinson est en ligne :

https://iiif.lib.harvard.edu/manifests/view/drs:4184689$8i

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